« Je voulais juste rester en vie… »
Beyrouth, le 25 août 2020
Karine Koukjian, habitante de Beyrouth et propriétaire de la bijouterie Koukjian au centre-ville depuis 20 ans, émue nous raconte avec ses mots, le désastre et l’horreur du 04 août à Beyrouth.
C’était en fin de journée, je rentrais tout juste du travail chez moi, à Achrafieh, un quartier du centre de la capitale, au cœur de la zone sinistrée. J’étais assise avec ma fille et ses 3 amies dans une pièce entièrement vitrée donnant vue sur la mer et sur le Grand Beyrouth, quand j’aperçois un avion survolant, étonnement bas, la capitale de Beyrouth et du port.
Cela faisait environ un mois que des avions survolaient la capitale libanaise.
Une première explosion et la fumée sur le port nous a précipitées vers la sortie de la pièce, quand la 2ème explosion, si puissante, nous a propulsées presque toutes les 5 à terre.
Je me suis retrouvée, parterre à l’extérieur de la pièce, assise sur le coccyx les jambes pliées, avec la porte vitrée éventrée par le souffle de la déflagration, sur mes 2 avant-bras. Ce qui m’a causé une double fracture de l’avant-bras droit et le bras gauche déchiqueté et nécrosé, le visage ensanglanté.
L’amie de ma fille, Mona, terrifiée criait avoir perdu son œil. Ma fille, elle, blessée légèrement à la jambe, hurlait, tétanisée devant l’ampleur de la catastrophe, devant cette vue apocalyptique !!
De toutes les années de guerre civile, nous n’avions pas vu de telles scènes apocalyptiques…
Impuissante et sans pouvoir me relever, je rassurais Mona que son œil était uniquement enflé et rempli de sang, elle avait reçu tout un pan de fenêtre sur le visage.
Je suis restée environ 1 heure parterre. Je regardais mes 2 bras tétanisée par le sang. Je voulais juste rester en vie.
Mon ex-mari est vite arrivé sur les lieux et a arrêté le premier véhicule des sapeurs-pompiers sur la route. Il transportait déjà un monsieur d’une quarantaine d’années le visage en sang. Nous sommes montées ma fille et moi, à mi-chemin, 2 jeunes enfants réfugiés syriens de 8 – 10 ans ont été aussi ramassés par les sapeurs-pompiers, direction le premier hôpital.
L’un des deux frères succomba de ses blessures, devant nous, dans le véhicule d’intervention…
Sur le chemin nous menant à l’hôpital de l’Hôtel Dieu de France, la ville était noircie de fumée, des immeubles entiers étaient détruits, éventrés, leurs vitres et façades arrachées. Les gens étaient complètement affolés dans les rues, ils courraient dans tous les sens à cette vue apocalyptique, j’ai alors pris conscience de l’ampleur de ce désastre, de ce tsunami qui a ravagé notre Capitale..
A l’hôpital, sur le chemin en direction des soins intensifs et même dans le parking de l’hôpital, les blessés gisaient parterre hurlant leur douleur, suppliant les passants de les secourir… Partout des blessés sans jambes, plus de bras, le chaos total.
Et moi, je craignais d’être amputée d’un bras, je ne le voulais pas !
Les 3 hôpitaux de Beyrouth ont été endommagés partiellement, voire entièrement. Les soignants hospitaliers étaient débordés, la situation était vraiment « hors de contrôle ».
J’ai été dirigée avec ma fille, dans un premier temps, dans un autre hôpital où j’ai trouvé une chaise pour me reposer. Les douleurs aux 2 bras se faisaient sentir de plus en plus…
J’ai fini par être transportée dans un 3ème hôpital au nord de Beyrouth, à Bellevue. Les rues étaient bondées, noires de monde et de voitures. Un médecin orthopédiste arrivé en urgence, à moto, m’a soulagée en me faisant les premiers secours qui ont duraient plus de 3 heures. J’ai été installée dans une cabine où je me suis sentie chanceuse, me considérant dans un hôtel 5 étoiles, tant les couloirs et les chambres étaient remplis de blessés !!
Le lendemain dans l’après-midi, j’ai été opérée de la main après avoir été plâtrée la veille.
Aujourd’hui, alors que nous sommes toujours en train de panser nos blessures et hantés par l’idée que nous aurions pu mourir, nous trouvons du réconfort dans la solidarité extraordinaire du peuple libanais après cette nuit épouvantable !!
Des jeunes et des moins jeunes viennent des quatre coins du Liban pour aider à déblayer maisons, magasins et routes. Des dons d’expatriés libanais et de personnes de toutes nationalités affluent de l’étranger, des habitants offrent un toit aux 300’000 Beyrouthins sans abri……
Et moi, je remercie le ciel d’être en vie !